Papatakis le réfractaire par Miche Ciment

Papatakis le réfractaire

Michel Ciment

Cinéaste rare et parcimonieux (six films en trente ans), Nico Papatakis apparaît aujourd’hui, dans ce monde où fait retour le politique, où l’exclusion est plus que jamais d’actualité, comme un auteur essentiel. Qu’il soit inclassable, qu’aucune étiquette ne puisse le définir n’est sans doute pas pour rien dans sa marginalisation au sein de la «grande famille du cinéma» comme aux regards de la critique. Mais être un homme de l’ombre n’est pas pour déplaire à ce créateur discret qui n’a jamais revendiqué
une place parmi les professionnels de la profession. Ce n’est pas seulement parce que ses projets font peur ou dérangent (une adaptation des Jouets de Georges Michel, un film sur Lumumba, un autre, Oracle Perforé, réflexion philosophique sur le crime productif) que Papatakis ne nous a pas donné une filmographie plus  abondante. Chaque tournage naît pour lui d’une nécessité profonde et ses activités politiques et militantes, le temps de la réflexion ou tout simplement la sphère privée comptent bien plus à ses yeux que la poursuite d’une carrière. Il ignore l’angoisse du prochain film, le désir de tourner le plus rapidement possible.

Né en 1918 à Addis Abeba d’un père grec et d’une mère éthiopienne, déchiré entre deux cultures, rejeté par l’une ou l’autre communauté, Papatakis sera sensible toujours aux clivages, aux injustices, à l’errance des damnés de la terre. Partie prenante de toutes les luttes révolutionnaires, il se battra dans sa jeunesse
en Ethiopie contre les armées de Mussolini puis dans le pays de son père contre la dictature de Metaxas, connaitra en France l’occupation allemande, aidera les indépendantistes algériens, participera à la résistance contre les colonels grecs. Il n’en fera pas pour autant des «fictions de gauche» où se retrouveraient la bonne conscience et l’humanisme tiède.

C’est qu’il s’est forgé une conception de l’art exigente, inséparable d’une rigueur morale, au contact des surréalistes et des existentialistes (deux familles spirituelles qui s’opposèrent pourtant maintes fois). Animateur de “la Rose Rouge”, le cabaret le plus célèbre du Saint-Germain des Prés de l’après-guerre qui accueillit Gréco, Mouloudji, les Frères Jacques, Yves Robert, il fut proche de Prévert et de Sartre et plus encore de Genet dont il produisit l’unique film Un chant d’amour avant de s’inspirer d’un épisode de sa vie pour Les Equilibristes. C’est le même intérêt pour le cinéma qui lui fait envisager de produire La Question d’Henri Alleg mis en scène par Resnais ou de se retrouver à New-York aux côtés de Cassavetes pour Shadows.

Lorsqu’il fait ses débuts à 45 ans derrière la caméra avec Les Abysses (inspiré du même fait divers qui avait donné naissance aux Bonnes de Genet), riche d’une expérience artistique, intellectuelle et politique considérable, il sera salué par ceux même qui lui avaient montré le chemin. Prévert et Sartre applaudissent la réussite de son film. Genet déclare : «Il est possible qu’on s’indigne de la ténacité avec laquelle Nico Papatakis a su saisir et conduire ce paroxysme pendant deux heures. Mais
je crois qu’on doit accepter de garder les yeux grands ouverts quand un acrobate exécute un numéro mortel». Et Breton «Eros et l’instinct de mort», couple indissoluble en butte à une tension sociale telle que ces deux machines se rechargent l’une l’autre jusqu’à l’incandescence ; avec Les Abysses nous sondons l’éperdu des passions humaines». Car la bataille fut rude. Après son rejet par le comité de sélection au festival de Cannes, le film fut imposé par André Malraux, Ministre de la Culture, aussi sensible que ses pairs à l’importance de l’œuvre. Le président du syndicat des producteurs français, Francis Cosne, donna sa démission en signe de protestation et Les Abysses provoqua le scandale sur la Croisette. Notre époque de consensus mou ne peut imaginer la violence des réactions que suscitèrent les premières œuvres de Papatakis, Gloria Mundi retiré de l’affiche après qu’un attentat à la bombe ait dévasté une salle UGC aussi bien que Les Pâtres du désordre choquant les biens pensants.

C’est que Papatakis est un réfractaire. Fuyant aussi bien la psychologie que la chronique réaliste, ses films sont autant de fables du monde où se jouent les rapports (et les luttes) de classe, où le sexuel et le social sont intimement liés. Chacun de ses films est une peinture de l’humiliation et un cri de révolte ; dans Les Abysses, deux bonnes se vengent de leurs maîtres ( on y a vu une métaphore de la lutte des algériens contre les colons français) sous le regard de Mademoiselle, une bonne âme libérale et dérisoire. Dans Les Pâtres du désordre, le cinéaste renverse les clichés du drame pastoral et d’une Grèce touristique. Son héros, un berger illettré, immigré de retour au pays, se heurte à des forces qui visent son anéantissement. La famille, la religion, la police s’acharnent contre un homme déchiré qui transgresse les limites par l’amour fou qui le lie à une femme et qui les conduira à la mort comme les héros de ces films noirs américains (High Sierra par exemple) si chers à Papatakis. Dans Gloria Mundi, réflexion sur la torture, l’héroïne est humiliée par tous ceux qui l’entourent, d’un sculpteur aux mondains chez qui elle est invitée. Dans La Photo, un jeune grec venu travailler en France invente pour celui qui l’accueille une sœur imaginaire restée au pays dont son hôte devient amoureux. Sa mise en scène du mensonge qui nourrit le fantasme de l’exilé met en marche le mécanisme d’une lente destruction. Dans Les Equilibristes, un grand écrivain fait de son jeune amant sa chose et exerce à travers lui sa volonté de puissance en le transformant en funambule virtuose.

Nous sommes conscients de ce que peuvent avoir de réducteur de tels résumés succints car il faut admirer au contraire chez Papatakis la complexité d’une approche qui mêle la sévérité à l’ironie. Tous ses films sont marqués au sceau de l’obsessionnel mais aussi du rituel. La fête de Pâques des Pâtres du désordre, les
numéros sous le chapiteau des Equilibristes, les chorégraphies intrigantes des servantes des Abysses, les jeux imaginaires des deux ouvriers grecs de La Photo sont nourris par la culture théâtrale de l’auteur comme par sa réflexion philosophique. Son cinéma est celui de la démesure mais d’une démesure qui se développe progressivement à partir d’une attention scrupuleuse au réel. Claude Levi-Strauss notait déjà à propos des Pâtres du désordre que le film présentait un «intérêt considérable pour un ethnologue car il part de l’observation la plus concrète, la plus minutieuse et la plus véridique des coutumes d’une société pour s’épanouir progressivement dans toute la splendeur d’une mythologie». Chaque film de Papatakis témoigne en effet d’un passage du réel à l’imaginaire.

Tous ses personnages sont en un sens eux-mêmes des metteurs en scène, certains d’entre eux allant jusqu’à organiser leur suicide méticuleusement. Chez Papatakis nous assistons au retour de la tragédie mais elle n’est pas l’œuvre des dieux antiques mais bel et bien celle de toutes les aliénations psychiques et sociales qu’engendrent l’hypocrisie et le conformisme politique, moraux et religieux. Chacun de ses héros pourrait s’écrier comme le berger des Pâtres du désordre «l’heure admirable où la mort m’a choisi». Car Papatakis refuse les fins apaisantes. Sa subversion est de croire que l’espoir naît de la négation. En ce sens il est proche du seul cinéaste auquel sa démarche s’apparente :
Luis Buñuel, autre irréductible, autre artiste à la trajectoire exemplaire, hostile à tous les compromis. Ils partagent la même distanciation, le même refus d’identification par rapport à leurs personnages, la même conception aussi d’une mise en scène qui ne fétichise jamais la technique et où le mouvement dramatique s’opère par la fusion des comédiens, du texte et de la plastique sans qu’aucun des éléments constitutifs du film n’attire sur soi l’attention.

Ce que nous dévoile Papatakis, c’est une beauté sans fioritures nourrie par une conscience morale. Ses récits sont autant de machines infernales où se trouve piégés des personnages solitaires. Le souffle qui traverse ses films est celui, vivifiant, qu’apporte un cinéma métis. Papatakis ne sera ni le premier ni le dernier de ces étrangers (de Buñuel à Ruiz et Ferreri) qui font bifurquer les sentiers dans les jardins parfois trop bien ordonnés du cinéma français.

source: http://www.festival-larochelle.org/taxonomy/term/250

Newsletter (mars 2011)

Chers amis, Αγαπητοί φίλοι,

A la mi janvier, notre soirée « Taverna » a connu du succès et tout le monde s’est régalé avec la belle musique de Nicolas Syros et de son groupe. Nous vous remercions d’avoir renouvelé votre cotisation pour l’année 2011. Pour ceux qui ne l’ont pas encore fait et qui souhaite le faire, il est encore temps. Cela reste toujours notre soutien principal pour réaliser nos manifestations.
Nous vous invitons à chacune de nos manifestations à venir, nous vous attendons nombreux et nous comptons sur vous pour parler autour de vous de tous ces évènements culturels !

Amicalement, Φιλικά

Le bureau

P.S: Adhésions: Cotisation individuelle: 23 € Couple: 30 € Étudiant: 10 €

Mars 2011 :

Printemps des Poètes « Paysages infinis » avec :

a) vendredi 11 à 20h : rencontre avec le poète grec Stratis Pascàlis qui viendra spécialement de Grèce pour l’occasion et son traducteur Michel Volkovitch à l’amphithéâtre René Char à l’INSA

Entrée  libre

STRATIS PASCALIS est né en 1958 à Athènes il est diplômé des Sciences Politiques de l’Université d’Athènes, essayiste, romancier, auteur des livres pour enfants, il a adapté en grec moderne des pièces de théâtre classique grec et traduit Shakespeare, Racine, Claudel, Rostand, ainsi que certaines œuvres de Maupassant, Rimbaud, Mallarmé, Verlaine, etc. Il a publié jusqu’à aujourd’hui neuf recueils poétiques : Anactoria (1977), Fouille (1984), Une nuit d’Hermaphrodite (1989), Cerisiers dans les ténèbres (1991), Mihail (1996), Comédie (1998), En regardant des forêts (2003), Saison de Paradis (2008). Il a obtenu plusieurs prix pour sa poésie et ses traductions.

Ne manquez pas cette soirée exceptionnelle de poésie avec nos invités qui méritent d’être connus et avec la présence musicale des étudiants de la section Musique-Etudes de l’INSA!

Nous organisons cet événement avec le soutien du Service Culturel de l’INSA et du Centre National du Livre Grec.

b) lundi 14, mercredi 15 à 20h et mercredi 16 à 18h30 : Defkalion est avec les Passeurs d’Europe .

En 2010, la Grèce a rendu hommage au poète Nikos Kavvadias (1910-1975) nous présenterons son poème « Brume ».

au Théâtre des Asphodèles, 115 av. Lacassagne 69003 Métro : Monplaisir –Lumière. Bus : 25, 28, 34, arrêt : Feuillat -Lacassagne

-jeudi 24 à 20h – Vidéo-Club : « Soul kicking » de Y. Economides projection privée et gratuite à «La belle équipe» – 32, rue des Tables Claudiennes 69001 Lyon

Avril 2011 :

– samedi 9 à 20h : Concert de Katerina Fotinaki et Orestis Kalabalikis

“23 siècles de chanson” à l’Institut Goethe: 18, rue François Dauphin 69002 Lyon.

Tarifs: adhérents 18 euros, plein tarif 22 euros et enfants 12 euros. Placement libre.

Vous pouvez déjà réserver vos places en envoyant vos chèques à l’ordre de DEFKALION au 11, place Raspail 69007 Lyon. Nous confirmerons votre réservation par mail, vous trouverez vos billets à l’entrée du spectacle. Nous n’enverrons pas les billets par la poste.

-jeudi 21 à 20h Vidéo-Club : « Jamais le dimanche » de J. Dassin projection privée et gratuite à «La belle équipe» – 32, rue des Tables Claudiennes 69001 Lyon

Mai 2011

– samedi 21 mai (l’heure est à définir) : Rencontre – signature avec l’écrivain Vassilis Alexakis pour son dernier roman « Le premier mot » à la FNAC Bellecour.

– jeudi 26 mai à 20h : le conteur grec Stélios Pelasgos sera à la Maison des Passages pour le 26ème Festival Paroles en Fête.